NOM MUTANT x Speed, même si en tant que non recensé personne sauf ses amis les plus proches ne l'utilisent, et encore, pour l'embêter.

CLASSE x 3, il suppose. Personne n'a vraiment évalué son niveau de pouvoir.

POUVOIR x Vitesse surhumaine. Cette vitesse s'applique aussi bien aux mouvements divers qu'un être humain peut réaliser (courir, frapper, réparer...), mais aussi à l'analyse de son cerveau. Il réagit bien plus rapidement, puisque lorsque l'on court plus vite, il faut aussi voir les obstacles à la même vitesse.
FORCES, FAIBLESSES & LIMITES x Le pouvoir de Kyle n'est certes pas le plus impressionnant, ni le plus dangereux. Toutefois, il le maîtrise suffisamment bien pour en faire une arme et une défense suffisante à ses activités. Sa vitesse, il est capable de l'adapter à beaucoup de situations. La plus régulière est bien évidemment la course. Il peut pour le moment atteindre voir dépasser la lumière du son, mais si jamais son pouvoir continue de se développer (jusqu'à des classes supérieures), il pourrait probablement se déplacer juste en dessous de la vitesse de lumière. Il peut aussi prendre de l'élan plus aisément, voir voler sur de très courtes distances en battant des bras et des mains à une vitesse très élevée. Il peut éviter les balles et la plupart des coups tant qu'il n'est pas pris par surprise, grimper sur des surfaces verticales sur de courtes distances tant que son élan et sa vitesse battent la gravité. Son corps en un effet secondaire de sa mutation résiste aux frottements de l'air dus à la vitesse.
Néanmoins, il possède ses propres faiblesses et limites. Tout d'abord, l'endurance. Il peut courir relativement longtemps, mais tout dépendra de son état de fatigue, de son état physique ou de sa santé. Par exemple, s'il a un rhume, il s'essoufflera plus vite. S'il est blessé à la jambe, sa course sera moins rapide et boitillante. En pleine forme, disons qu'il pourra courir à pleine vitesse pendant une demi-heure, voir un peu plus s'il se force au maximum de ses capacités, avant d'être obligé de s'arrêter pour ne pas s'écrouler de fatigue. S'il veut parcourir de longues distances, il reste en dessous de la vitesse du son, et économise son énergie comme un coureur de marathon. Il lui faut néanmoins faire des exercices réguliers afin de se maintenir en forme.
Un autre problème consiste en les frottements. Non pas ceux de l'air, mais ceux de ses vêtements. Imaginons qu'il décide de courir à la vitesse du son, (soit dans les 1200 km/h) avec un jean. Autant dire que le tissu ne tiendra pas longtemps au niveau des cuisses, de même qu'une chemise se fera déchirer par la force de l'air, etc. Il doit donc adapter ses courses à ce qu'il porte ou à ses activités prochaines.
Une autre caractéristique de son pouvoir est sa capacité d'analyse. Afin de l'empêcher de heurter chaque obstacle, son cerveau est capable de diminuer énormément son temps de réaction, à la milli ou micro-seconde. Ses sens ne sont pas plus exacerbés, son cerveau est juste capable de traiter plus de données à la fois et plus rapidement. Cela ne le rend pas plus intelligent, loin de là. Juste plus réactif, plus rapide, tout simplement. Son œil peut aussi recevoir plus d'images par seconde qu'un œil normal, et son cerveau les analyser une par une, sans quoi il ne verrait quasiment rien lorsqu'il court. Cela a pour conséquence qu'une action très lente lui semblera décomposée en plusieurs images. Toutefois, son temps de réaction n'est diminué que lorsqu'il se rend compte qu'il doit réagir. Si on le prend par surprise, il se fera avoir aussi facilement que n'importe qui.

CLASSE 1 x Son pouvoir est incontrôlable. Sa vitesse peut se manifester d’un moment un autre, en général lorsque l’instinct le pousse à la fuite. Une trop grande terreur peut l’immobiliser sur place, et la colère le faire se jeter très rapidement sur l’objet de sa rage. Ses mouvements ne cessent de changer de vitesse sans qu’il n’y puisse rien y faire, surtout dans les plus grands moments de fatigue. Son cerveau peut analyser les mêmes images à différents rythmes selon ses humeurs, si bien que même s’il parvient à courir vite, son cerveau ne sera pas forcément en train de s’adapter et le jeune homme heurtera un obstacle qu’il n’a pas eu le temps d’analyser. Sa vitesse ne dépasse pas les 200km/h, et il ne peut la maîtriser. Il ne tient que très peu de temps, son corps non résistant au vent.

CLASSE 2 x Le contrôle lui vint un peu plus facilement. Il peut accéder à volonté à sa vitesse lorsque son esprit est reposé et son état physique optimal, sinon il doit faire un effort. Son cerveau analyse quasiment tout rapidement, sauf lorsque la fatigue ralentit comme pour n’importe qui son temps de réaction. Ses yeux peuvent distinguer plus d’images par seconde qu’une personne normale. La vitesse de ses mouvements lui échappe moins souvent lorsqu’il est reposé, mais son contrôle glisse dangereusement en fin de journée, surtout pour les gestes réalisés par automatisme. Sa vitesse atteint des pics de 600 km/h. Il parvient un peu mieux à conserver une vitesse stable, mais pas très longtemps. Il peut difficilement monter aux murs, mais commence à pouvoir éviter des objets. Le vent ne le fait quasiment plus souffrir.

CLASSE 3 x Quel que soit son état, il peut désormais accélérer ses mouvements, et conserver à volonté une vitesse stable. Sa vitesse peut être utilisée pour tous les mouvements qu'il connaît bien. Son état et ses humeurs influence néanmoins la durée pendant laquelle il peut utiliser sa vitesse, en un maximum de ½ heure en vitesse optimale pour un état de santé quasi parfait. Il dépasse désormais la vitesse du son, soit 420 m/s, ce qui donne l’impression qu’il se téléporte sur les courtes distances. Son cerveau analyse désormais toujours tout rapidement, sauf en état de grande fatigue ou sous l’emprise de l’alcool. Ces situations réduisent son temps de réactions, mais puisque celui-ci est bien supérieur à la normal, elles ne le rendent que quasi-similaires à une personne sobre et reposée. Il est totalement protégé des frottements de l’air. Il peut désormais éviter les balles, les tirs au laser, monter sur des surfaces verticales de quelques mètres avec de l’élan, courir sur l’eau. Il commence à aller suffisamment vite pour déplacer des masses d’air sur son chemin, comme des minis tornades, mais n’en a pas assez l’habitude pour décider d’où elles se rendent. Il peut voler sur de très courtes distances en battant des bras à une grande vitesse, mais seulement avec beaucoup d’élan. Il peut en fait réaliser à peu près tout ce qui est possible à une telle vitesse, mais chaque nouvelle expérience échappe en général à son contrôle.

CLASSE 4 x Le contrôle de sa vitesse ne lui échappe quasiment plus. Ses mouvements ne changent pas de vitesse sans son aval conscient. Son état de fatigue et son endurance n’influencent plus beaucoup ses performances, et il peut désormais courir à une vitesse maximale de 1000 m/s pendant une heure. Son temps de réaction ne diminue que très peu lors de situations critiques. Il évite sans soucis tout objet plus lent que sa vitesse maximale. L’élan nécessaire à l’escalade de surface verticale et au vol ont diminué, mais pas totalement disparu. Son cerveau capte beaucoup plus d’images que la normale, si bien que certains mouvements lui paraissent totalement décomposés. Les petits impacts d’objets ne le gênent plus, ce qui est nécessaire à une telle vitesse. Il contrôle mieux les tornades qu’il génère, qui sont aussi plus importantes.

CLASSE 5 x Son contrôle est total. Il peut quasiment courir indéfiniment du moment qu’il n’est pas blessé ou gravement malade. Sa vitesse est juste en dessous de celle de la lumière, si bien qu’il semble se téléporter d’un endroit à un autre du globe. N’importe lequel de ses mouvements peut prendre une telle vitesse, il peut même faire plusieurs choses à différentes vitesse en même temps. Il n’a pas besoin d’élan pour courir sur des surfaces verticales ou voler, bien qu’il ne vole pas très haut et jamais très loin. Il peut créer des tornades dont il maîtrise la trajectoire, de même que des ouragans. Il peut éviter à peu près n’importe quoi se situant dans son champ de vision. Mais avec de telles possibilités de vitesse, et voyant le monde beaucoup plus lent qu'il ne l'est en réalité, il adopterait sans doute quasiment tout le temps une vitesse supérieure à la normale, ou point de ne plus supporter la lenteur des autres.

« Mr. Hogan ? Vous voulez dire mon mécanicien ? Oh, je suppose que c’est un homme comme les autres, vous savez, aimable avec ses clients, plutôt souriant, efficace dans son travail... Bref, l’honnête personne par excellence. Toutefois, on ne peut pas dire qu’il soit très bavard, toujours la tête plongée dans ses outils et le cambouis. Enfin, je suppose que mécanicien ne requiert pas une conversation transcendante… » – Mme Wilighton, cliente du garage.

« Kyle ? Non mais vous voulez qu’je dise quoi sur lui exactement ? Franchement, j’y connais rien à sa vie. Ouais, ouais, je sais, on est censé être potes. Mais ce mec ? Il garde son passé verrouillé à double-tour dans un coffre-fort contre lequel seul un bulldozer aurait un effet quelconque. Moi j’dis qu’y a bien plus derrière son apparence polie que ce que l’on pourrait imaginer. Bien sûr qu’il se montre sympathique avec ses clients, c’est son gagne-pain. Mais vous l’avez déjà entendu tenir une conversation sur le beau-temps ou un quelconque badinage plus de quelques secondes ? Non, impossible. Oh, il est très doué pour paraître sociable. S’il se trouve avec des copains, il pourra même discuter de sa journée, boire un verre avec eux, s’éclater. Mais les petites discussions sans intérêt ? Avec des inconnus où il faut faire semblant ? Laissez tomber. Sa franchise est juste… Incroyable. Parfois, j’ai l’impression qu’il a vécu des années sans avoir besoin de proférer ces petits mensonges quotidiens qu’on sert aux autres pour ne pas les vexer. Et pourtant, il n’a aucun problème à dissimuler tout ce qu’il veut de son passé. Un vrai cas ce gars. » – Compagnon de jeu de Kyle

« Qu’est ce que vous voulez que je vous dise sur lui, ce petit lâcheur ? Oui je le connais, je le connais même très bien. On s’est rencontré des années auparavant, alors qu’il errait dans les bars tel un animal perdu. Déjà à l’époque, il avait ces petits yeux de chien battu auxquels on ne peut s’empêcher de céder. Parfois, il donnait l’impression d’avoir deux personnalités : une douce, refusant de faire du mal aux autres, toujours en décalage avec le monde réel, et une autre dangereuse, violente, apparaissant dès qu’il se sentait menacé. Un jour il m’a dit qu’il avait fait la guerre, qu’il avait vu un psy pour ça. Je pense que ça expliquerait le fait qu’il se sente si mal à l’aise en société, comme si… Il ne pouvait s’autoriser vraiment à vivre une vie plus simple, banale, mais le désirait pourtant plus que tout. Je l’ai déjà vu se perdre dans la contemplation d’une scène quotidienne pendant des heures ! La raison ? Il ne savait plus vivre. Oh, s'amuser, il le pouvait. Une bière à la main, entouré de gens à qui il faisait à peu près confiance ? Pas de soucis. On pouvait même distinguer en lui cet espèce d’ado anglais jusqu’aux bouts des ongles, un peu arrogant, tête-brûlée et rebelle, qu’il avait dû être avant la guerre… Et probablement la découverte de son don. Car Kyle était un mutant, et un remarquablement doué avec ça. Je ne l’ai jamais vu plus à l’aise que dans nos missions de vol, dans la mise en place de stratégies, dans la réalisation d’objectifs précis. Vous voulez mon avis ? Il n’était pas fait pour la vie avec les autres. Pas seulement à cause de sa mutation, mais aussi à cause de son caractère : trop franc, trop actif, trop malin… Et trop secret. Et pourtant ce n’était pas d'un petit groupe à l’écart de tout où il pouvait être lui-même dont il avait besoin, c’était du monde et de tout ce qu’il avait à offrir. » – Nath’, ancien complice de vol.

« Mon caractère ? Je ne saurai trop comment vous le décrire. Parfois, j’ai l’impression qu’on a tenté de concilier en moi deux facettes se repoussant sans cesse. Autrefois j’étais un garçon comme les autres, petit fils d'aristocrate bien propre sur lui voulant attirer l’attention de sa famille en faisant n’importe quoi. Puis j’ai fini en Afghanistan, et après au Sahara. J’ai vécu éloigné de toute civilisation pendant si longtemps, tellement libre de me servir de mes pouvoirs à tout bout de champ, que la société a été… un choc. Je sais que je suis doué pour certaines choses : le vol, l’informatique, la mécanique, planifier… Bref, le genre d'activités qui ne nécessitent pas vraiment de contact avec autrui. Mais les être humains… Ils sont ma plus grande fascination et me mèneront à ma perte. A force de vivre seul, j’ai appris à dissimuler la brutalité de ma personnalité sous ce vernis brillant de politesse que l’on attend d’un petit mécanicien dans mon genre. Mais dès que les conversations se prolongent un peu trop, ma franchise ressort immédiatement. Je dis ce que je pense et possède cette légère tendance à n’en faire qu’à ma tête. On m’a dit une fois que j’étais imprévisible. C’est vrai que même moi je ne sais trop quand je vais me décider à interrompre une conversation ennuyeuse, ou quand quelqu’un va me paraître trop menaçant. Je râle, je suis lunatique, je change d’humeur comme de chemise… Sauf lorsque la situation revêt un caractère plus sérieux. Quand je me détends, j’arrive à atténuer un peu le côté assez… extrême de ma personnalité. Je pense que je suis bien trop concentré sur ma méfiance pour parvenir à ne pas froisser la sensibilité d’inconnus. Je ne peux simplement pas me permettre que mon passé refasse surface juste pour échanger quelques anecdotes avec le voisin. Non mais vous imaginez ? « Quand j’étais jeune, j’étudiais le droit. –Ah oui ? Moi je me faisais torturé par les Touaregs du Sahara. » Pourtant je ne désespère pas, j'irai même jusqu'à me considérer comme assez optimiste. J’essaye de voir le côté positif des choses, de ne pas me laisser abattre par mon passé et mon inaptitude à la vie de tous les jours. J’ose espérer qu’un jour les personnes comme moi, et je ne parle pas seulement des mutants, seront acceptées, et surtout que ces personnes et moi cesserons de nous battre inconsciemment contre une existence que nous désirons. » – Kyle C. Hogan, anciennement William A. Witherspoon

Le bruit du froissement de papier retentit étrangement dans le silence de cet appartement vide à l'exception d'une petite chaise et d'un bureau, éclairé par une lampe de piètre qualité. La main de l'homme s'y tenant hésite un instant, le stylo suspendu en l'air avant de se poser avec une délicatesse toute révérencielle sur des feuilles ayant connu des jours meilleurs.


Mes très chers parents,

Le « très chers » est-il déplacé ? Après tout, cela doit faire plus de neuf ans que nous ne sommes plus en contact. Bah, cela n’a pas d’importance je suppose puisque vous ne verrez jamais la couleur de cette lettre. Voyez-vous, je l’écris car une psychiatre, des années plus tôt, m’a conseillé de raconter ma vie : dans un journal, un blog, que sais-je encore. Cela est censé m'aider à « faire face aux traumatismes que j’ai subi ». Comme je n’ai ni la patience, ni l’intérêt nécessaires pour rédiger un paragraphe sur ma vie tous les jours, mais que j’ai bel et bien pris la décision d’avancer dans ma vie, je vous écris une lettre. Pourquoi vous ? Parce que je ne saurais à qui d’autre l’écrire. Toutefois je ne l’enverrai jamais. Premièrement parce que je ne suis pas sûr d’avoir envie de reprendre contact avec vous, ensuite car cela reviendrai à m’offrir aux forces de police, aussi bien américaines qu’anglaises. Aussi me voilà, en train de rédiger une lettre qui finira brûler à 4h du matin, quelques heures seulement avant de partir pour New York. Mais commençons par le début si vous le voulez bien, début que vous connaissez, certes, mais pas de mon point de vue. Au fond, j’aurai mieux fait de rédiger ceci dans un journal. Enfin, puisque j'ai commencé, autant continuer sur ma lancée.

Ma naissance, le 19 mars 1985, ou bien mon enfance, n’ont aucun intérêt. Nous étions une famille assez heureuse je suppose, et vous devez vous en souvenir comme l’époque bénie où ni mon don, ni ma propension aux ennuis n’avaient fait leur apparition. Sincèrement, je ne me souviens pas vraiment d’une période de ma vie « normale ». Je crois que mon cerveau a toujours été un peu plus rapide, mes réactions un poil trop promptes par rapport aux autres. Mais cela pourrait aussi être causé par mon incapacité actuelle à m’imaginer normal. Mais peu importe. J’avais des amis, une petite sœur que je chérissais autant qu’un garçon âgé de moins de dix ans peut apprécier une petite fille, des parents à peu près présents. Et puis, vous étiez assez riches pour nous offrir une enfance rosée, il faut le reconnaître. Sans doute l’êtes vous encore plus à présent que votre fils aîné ne tâche plus votre réputation autrement blanche comme neige. Cela me fascine qu’un « dandy » anglais tel que moi soit sur le point de devenir le petit mécanicien d’un quartier de New York, mais nous en viendrons à ce point de mon histoire plus tard.

Je pense que tout a commencé à dégénérer le jour où mon don, car je le vois comme tel aujourd’hui, a fait son apparition dans mon, ou plutôt notre, existence. Je devais avoir dix ans, même s’il a mis probablement des années pour se manifester de manière tangible. Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain, en tout cas pas pour moi. Pour vous, il y avait le « avant d’avoir découvert que notre fils était un monstre » et le « après ». Pour moi, toute la période précédant la puberté ne constituait en réalité qu’une longue transition vers un état où mon pouvoir ne pouvait plus être dissimulé, pas à cet âge en tout cas. Chaque jour passant, mes mouvements se faisaient plus étranges, plus incontrôlables. A un moment je parvenais à battre tous les records de vitesse de mon école, et à l’autre j’étais le plus lent de toute la classe. Certains de mes amis pensaient même que je faisais exprès de ralentir pour ne pas les ridiculiser à la course, d’autres que je les regardais de haut parce que j’étais « le meilleur ». Sauf que je ne l’ai jamais été. Mon seul crime était à l’époque d’être différent.

Je ne contrôlais rien. Le monde entier me paraissait emprunt d’une lenteur à laquelle mes gestes pouvaient échapper lorsque mes émotions prenaient le dessus, lorsque la vitesse devenait essentielle. Et vous avez fini par en prendre conscience, le jour où vous voiler la face ne suffisait plus à faire disparaître l’évidence devant vos yeux et taire les rumeurs du quartier. Je ne vous en veux pas, en tout cas pas vraiment, de votre réaction. Le « problème » mutant existait déjà après tout, bien que moins médiatisé qu’aujourd’hui, et je suppose que n’importe qui à votre place aurait été perdu. Alors non, je ne vous tiens pas rancune de m’avoir envoyé dans un pensionnat, loin de vous et de tout ce que je connaissais. Ma colère envers vous est née de toute autre chose : votre dégoût, votre haine envers votre propre fils bien plus perdu, plus déboussolé que vous ne l’avez jamais été, d’être un autre de ses mutants. A l’instant même où mon pouvoir s’est imposé comme une évidence dans nos vies, vous avez cessé de considérer mes sentiments comme ceux d’un être humain. Vous ne pensiez plus qu’à votre réputation, votretristesse, votre perte, mais jamais au fait que détestais cette malédiction m’arrachant à mon foyer.

Je reconnais néanmoins que vous ne m’avez pas renié, simplement éloigné. Et que fait un enfant de dix ans en plein mal-être rejeté par sa famille ? Il se rebelle. Je suppose que vous ne vous êtes jamais supposés comme responsables de ma « transformation » en petit voyou. Mais que vous le vouliez ou non, vous y avez bel et bien joué un rôle. Bien sûr, il y avait d’autres facteurs. Tout d’abord mon pouvoir incontrôlable. Je vivais dans la peur que les autres pensionnaires tellement coincés et aristocrates de l’internat ne remarquent mes bizarreries, mes gestes changeant constamment de vitesse. Je restais seul, évitant au maximum les mouvements inutiles, les sports entre amis… Jusqu’à ce que je trouva un groupe, après deux longues années solitaires. Des humains, hélas, mais des amis tout de même, qui se rebellaient de toutes les manières possibles à notre âge contre l’autorité. Allez savoir comment, je parvins à leur dissimuler ma véritable nature pendant un an. Une année à la fois terrible et brillante, passée à faire tout et n’importe quoi pour attirer votre attention et à me convaincre que personne ne découvrirait mon secret. Que voulez-vous ? J’avais treize ans, étudiait depuis trois longues années dans ce maudit internat, me sentais invincible et capable de tout, persuadé que mes amis m’accepteraient envers et contre tout. Mon secret filtra, évidemment, et je devins le mutant de l’internat. Ma bande d’amis me mit sur le dos toutes ces idioties que l’on avait accomplies ensemble, et je fus viré.

Combien de fois ce schéma s’est-il répété ? Je suis passé d’internat en internat, sans même que vous vous interrogiez sur mon comportement ou ma responsabilité dans ces actes dont on m’accusait. Bientôt ce ne fut plus moi qui rejoignait les bandes de voyous, mais elles qui me trouvaient. A force de travail en secret, je contrôlais un peu mieux les manifestations de mon don, suffisamment pour réduire ma vitesse lorsqu’elle modifiait mes mouvements au hasard, aussi osais-je de plus en plus faire mon « intéressant ». Le seul moyen d’attirer votre attention et de rentrer un peu à la maison devint cette mini-rébellion contre n'importe quelle forme d'autorité. La première chose à faire dans un nouvel internat était de me construire une mauvaise réputation et attirer les vrais voyous à moi. Vous aviez peur que je ruine votre réputation ? Vous craigniez que je n’use mes pouvoirs à mauvais escient ? Et bien je tentais vous prouver que vous aviez raison. A chaque fois que je rentrais, attendant que vous trouviez un nouvel endroit où m'envoyer et priant pour que vous n'y parveniez pas, je m’arrangeais pour m’afficher dans votre petite rue bourgeoise vêtu des pires habits imaginables. La drogue, l’alcool ? Un quotidien. Mais tout cela ne suffisait pas, peut-être parce que je continuais malgré tout d’étudier, ne pouvant résister à donner à mon esprit de quoi l’occuper. Puis j’ai découvert pour votre plus grand désespoir que j’étais tout autant attiré par les filles que les garçons. Âgé de tout juste dix-sept ans, ayant enchaîné de pensionnats de plus en plus sévères réservés aux « cas » comme moi, je m’affichais avec plaisir avec un nouveau garçon à mon bras chaque fois que je me trouvais en présence d’une de vos connaissances. Je suppose que c’est là que vous avez craqué.

Vous m’avez envoyé dans une école militaire, me forçant la main pour qu’à dix-huit ans, je rejoigne l’armée. Là au moins je ne pouvais plus vous déranger, pas vrai ? En Afghanistan, nul doute que ma honte ne pourrait tâcher votre pureté. Que dire de l’armée ? Je n’aimais pas cela, et elle me le rendait bien. L’autorité ne me convenait pas, surtout après avoir passé les sept dernières années à la bafouer. Mais vous m’aviez prévenu : faire usage de mon don dans un tel milieu n’aurait pas les mêmes conséquences que dans un internat perdu en Europe du Nord. Qui sait ce que l’autorité ferait de moi ? Alors, par peur, je tentais d’améliorer ma maigre maîtrise de mon pouvoir. Bien sûr cela s’avéra un échec, mais pour une fois la chance fut de mon côté. L’homme qui découvrit ma véritable nature était comme moi, mais bien plus sage, âgé et surtout doté d’un contrôle à toute épreuve. Il me prit sous son aile, prenant la place qui vous était dû en tant que figure parentale. Haut placé, il me fit entrer au SAS, ce que vous n’avez jamais su, évidemment. Déjà à cette époque, on ne se parlait quasiment plus de toute façon. Une lettre de temps en temps, voilà tout.

Cette époque de ma vie, de mes dix-huit à mes vingt ans, fut probablement l’une des plus dures mais aussi l’une des plus heureuses de ma vie. Mon mentor était un homme sévère, qui en attendait énormément de celui qu’on disait pistonné, à juste titre d’ailleurs. Mais il possédait aussi une générosité et une compréhension qui avaient toujours manqué à ma vie. Il m’enseigna à faire usage de mon don au combat, à dissimuler ma vitesse pour mieux en faire usage contre mes ennemis. Je ne me fis pas vraiment d’amis, mais je n’étais pas non plus un paria, ce qui était déjà une amélioration considérable de mon style de vie. Apprendre à me battre fut difficile, mais sans doute moins que si je ne possédais pas cette capacité à réagir bien plus vite que ce à quoi on pouvait s’attendre d’un humain normal. J’appris les côtés positifs de ma mutation, les causes auxquelles elle pouvait servir. Plus le temps passait, plus je prenais plaisir à me contrôler toujours un peu plus. Je me sentais prêt à participer à mes premiers combats, plus que déterminé à faire mes preuves sur le terrain, à leur montrer à tous que j'avais ma place dans cette unité d'élite. Je bassinais mon mentor encore, et encore, priant et suppliant, jusqu’à ce qu’il me laisse participer à l’Opération Marlborough à Bagdad. Lui pensait que je n’étais pas prêt, qu’il me fallait plus d’entraînement... Et il avait raison, bien sûr. Oh, l’opération fut un succès. Nous parvînmes à exécuter les trois terroristes irakiens menaçant la sûreté des citoyens de la ville. Mais notre mission non officielle ne faisait que commencer.

Nos supérieurs furent ravis de cette nouvelle réussite à ajouter à notre palmarès, et malgré la présence d’un petit jeune comme moi dans notre équipe, sans doute persuadés que j’étais une sorte de génie de guerre, ils nous envoyèrent en Afghanistan. Nul ne fut mis au courant de la présence du SAS ou de notre rôle à venir dans les conflits avec les extrémistes. Nous parcourions les terres de ce pays dévasté par la guerre à la recherche des talibans que nous apprenions sur le tas à débusquer et à combattre. Pendant des mois nous restions cachés dans la poussière et la crasse, connaissant des succès mitigés à l'exécution et l'arrestation des terroristes. Chaque mois nous perdions des membres de notre unité, vivions dans l'espoir de revoir un jour notre patrie. Et le gouvernement qui nous promettait notre rapatriement prochain ! Mais notre séjour se prolongeait toujours, jusqu'à cela fasse quatre années que nous ne vivions plus que pour accomplir les desseins d'un État qui se fichait de nous. Ces années me changèrent. Mon don devint une extension de moi-même, un outil de guerre. Lorsque vous vivez des dangers tels que ceux auxquels les autres soldats et moi étions confrontés, vous ne dissimulez plus rien à vos compagnons d'infortune. Tous savaient que moi et mon mentor appartenions à cette « race » que composaient les mutants, mais ils avaient appris à faire avec, l'acceptaient même tant les différences et les préjugés n'avaient pas leur place sur le champ de bataille. Nous utilisions nos pouvoirs constamment, perdant toute habitude de nous cacher. Ce temps passé à guerroyer pour le bon plaisir de notre pays m’apprit à considérer mon pouvoir comme une part de moi-même, mais me priva de toute capacité à le dissimuler. A quoi bon ? Ma vie ne se résumait plus qu'aux combats, au sable sans fin, et à la poussière.

Puis ce qui devait arriver arriva : nous fûmes repérés, et mis en déroute... Non, nous fûmes massacrés les uns après les autres. Mon mentor mourant m’ordonna de fuir, fuir aussi loin que je le pouvais. Probablement pas le meilleur conseil à donner à quelqu’un possédant ma mutation. Je ne sais combien de temps mes jambes me portèrent, ma seule réalité réduite aux dernières phrases de celui qui avait constitué ma seule véritable famille, plus aimant que vous ne le serez jamais. Je finis par m’écrouler dans le sable, terrassé par le chagrin comme par la fatigue, sans avoir nulle idée du temps qui s’était écoulé ou de l’endroit où je me trouvais. Une nouvelle page venait à nouveau d’être tournée. Nous étions alors en 2009.

Je me réveillai attaché à une chaise, au beau milieu de ce qui ressemblait à une immense tente. Je n’avais ni bu ni mangé depuis notre défaite, et ma course m’avait évidemment affaibli, si bien que mon esprit ne parvenait pas à se saisir de ce qui m'entourait. Je passais les heures suivantes dans un état à demi comateux, jusqu’à des hommes viennent me trouver. Ils parlaient une langue que je ne connaissais pas, et des espèces de foulard couvraient leurs visages. Ils m’interrogèrent pendant des heures, n'abandonnant qu'après ce qui me sembla une éternité de questions, me fournissant un peu de nourriture et d’eau en partant. Je ne vous décrirai pas les jours, ou était-ce des semaines ? Qui suivirent. Pas en détails en tout cas. A l’époque je ne comprenais rien de ce qu’il m’arrivait, trop prostré dans la douleur pour m’intéresser à ce qu’il se passait autour de moi. Je sais aujourd’hui qu’il s’agissait de Touaregs, ces nomades du Sahara. J’avais parcouru la distance entre l’Afghanistan et le Sahara dans ma fuite aveugle, fuyant un enfer pour un autre. Mais je n’étais pas tombé sur n’importe quelle tribu de Touaregs, évidemment : il s’agissait d’une refusant les règles imposées par les pays que traversait le Sahara, ne se soumettant qu'à leur propre code ancestral. Et ces hommes impitoyables étaient persuadés que j’étais un espion. Après tout, quelle chance y avait-il qu'un humain tombe sur leur campement, dissimulée au fin fond du désert ? Alors ils me torturèrent, jusqu’à ce que mon monde se réduise à une suite sans fin de sommeil troublé et de souffrances. Je perdis l’habitude de parler, prostré au point de ne plus être grand chose de plus qu’un animal. Je ne saurais vous dire combien de temps cela dura. Au début je tentais de conserver une trace du temps qui passait, mais même ceci perdit tout intérêt à mes yeux.

Cela aurait pu continuer indéfiniment, et pourtant, un jour, le chameau me transportant s’arrêta. Mais au lieu de me conduire vers une nouvelle séance dédiée à la douleur, on me permit de retirer le bandeau couvrant mon regard, de me laver et de me nourrir. Mes yeux souffraient de la lumière, mon ventre refusait d’avaler quoi que ce soit d’autre que la bouillie infâme que l’on m’avait servi pendant ma captivité, mais j’étais libre. Et alors ? Je ne comprenais même plus ce que la liberté signifiait, réduit à un être décharné que l’on devait conduire par la main, ne survivant que par habitude. Mon existence n’avait plus de sens. Penser n’était que souffrance inutile, et les émotions constituaient un bagage encombrant. Je ne sais ce qui les poussa à faire de moi un Irawellan, un ancien captif, plutôt qu’à me tuer, mais je ne parvenais pas à leur en être reconnaissant. Réapprendre à vivre signifiait recommencer à penser, à sentir, et je ne le pouvais tout simplement pas. Puisqu’ils ne pouvaient me laisser partir, ils me donnaient des tâches simples à exercer : nettoyer, monter les tentes, préparer les caravanes, s’occuper des animaux. Cela ne changeait rien pour moi, si ce n’est que je devais supporter le soleil et les humiliations plutôt que le noir et la torture. J’oubliais tout ce que j’avais connu auparavant, devenant peu à peu un membre comme un autre de cette petite troupe hétéroclite. J’appris peu à peu les rudiments de leur langage, ce qui constitua le premier pas vers mon acceptation. Des hommes vinrent me parler au fil des jours et sans même en prendre conscience, je redevenais un peu plus humain. Leur vie devint la mienne, et il me semblait que j’avais toujours vécu au sein de cette tribu et des chameaux, que mes habits avaient toujours été constitués de ces longs vêtements et turbans. L’anglais m’échappa, et chaque mot de ma langue d’origine oublié était une brique de plus ajoutée au mur me séparant de mon passé.

Puis les Américains arrivèrent, se mêlant comme toujours de ce qui ne les regardait pas. Le maigre équilibre de mon existence fut de nouveau brisé, la civilisation se rappelant brusquement à mon esprit. Mes compagnons furent capturés, d’autres s’enfuirent. Quand à moi, on me ramena sur le continent américain incapable de prononcer plus de quelques mots d’anglais, les cicatrices de mon tourment visibles sur ma peau et par mes os bien trop proéminents. Ombre de l’homme que j’avais jadis été, on me considéra comme un pauvre touriste capturé. On m’interna dans un des hôpitaux psychiatriques de Washington, et des médecins entamèrent la lourde mission de me rendre un semblant d’humanité. Avec les bribes de ma personnalité d’antan m’étant rendues vint la prise de conscience de qui j’étais. Pas le petit touriste innocent, mais un déserteur anglais, un mutant, un hors-la-loi. Je ne saurai comment vous dire cela échappa à l'attention de ceux qui s'occupaient de moi. Personne ne comprenait comment je m’étais retrouvé là-bas, ni comment diable j’avais pu survivre, mais ils ne cherchèrent pas plus loin. Au fond, ils se contentèrent d’arracher tout ce qui avait un jour pu constituer l’ancien moi, et de me rendre les petits bouts un par un sans se soucier de si je parviendrai à les associer.

Au bout d’un an on me laissa sortir, trois ans après ma capture, à peu près sain d’esprit mais totalement inapte à vivre dans une société quelconque. Je ne savais plus ce que je devais faire, comment me comporter avec les gens autour de moi. J’avais vingt-six ans, et mes dernières conversations avec des inconnus remontaient à l’année de mes vingt ans. J’errai dans la ville comme une âme en peine, vivant dans la rue faute de pouvoir trouver mieux. Le gouvernement américain m’avait fourni des papiers sous le nom de Kyle Cameron Hogan. Et oui mes chers parents, William Aaron Witherspoon, votre fils, était définitivement mort et enterré sous le poids d’évènements trop lourds à assumer. Je n’avais donc ni famille, ni amis. Inévitablement, je ne pus résister à la tentation et utilisai mes pouvoirs pour voler de quoi me nourrir, évitant les autres comme la peste et me réfugiant dans la solitude. Mais la vie refusa de me laisser m'exiler de tout. Elle mit sur ma route un groupe de mutants hors-la-loi, des voleurs comme moi. L'un d'eux, Nath' me prit sur le fait en train de voler je ne sais plus quelle bêtise, comprirent d’un coup d’œil mon incapacité à m’adapter, et me recueillir.

Je ne sais toujours pas ce qui me poussa à les suivre. Peut-être le poids de la solitude, le désespoir, ou simplement l’absence d’un quelconque but à ma vie. Sans doute me rappelaient-ils mon ancien escadron et le fantôme planant toujours sur moi mais hors de portée de ma vie « normale ». Ils m’apaisèrent et m’amadouèrent comme on le ferait avec un animal sauvage, m'offrant une nouvelle famille et un foyer. M'enseigner l'humanité n'était pas une tâche impossible, puisqu'après tout j’avais connu des semblants de normalité auparavant, j’avais juste besoin du coup de pouce des bonnes personnes pour me remettre sur le bon chemin. Je ne pense pas que je serai jamais totalement apte à me fondre dans la foule, mais au moins ne suis-je plus cette parodie d’humanité cousue de toutes les pièces que les médecins avaient pu trouver de ma personnalité d'antan. Avec ce groupe je redevins une personne à part entière, retrouvant la capacité de m’amuser comme lorsque j’étais jeune, le bonheur et la légèreté presque douloureux tant ils me paraissaient étrangers. J’appris à vivre au-delà de mes cicatrices plutôt qu’avec comme avaient tenté de me l’inculquer les psychiatres. Et surtout, Nath’ et les autres offrirent un nouveau but à mon existence. Celle-ci se résumait surtout au vol d’œuvres d’art célèbres, de banques, le tout basé sur l’absence totale de confrontation avec les forces de l’ordre, aucun d'entre nous n'appréciant l'idée de donner la mort. Je savais déjà me battre avec mon don, mais j'avais presque oublié comment m'en servir après toutes ces années de captivité. Je retrouvai une identité, aussi bien celle d’un mutant que celle d’un être vivant capable de raisonner par lui-même. J’appris à adapter toutes les stratégies enseignées par le SAS à des vols, ou même à ma vie de tous les jours. Mes nouveaux amis m'enseignèrent également le piratage informatique, ma capacité à analyser plus rapidement que la moyenne et mon faible temps de réaction des atouts considérables. Et c’est ainsi que je devins un voleur plutôt recherché, mon dossier heureusement vide de toutes informations sur mon identité. Enfin je pus laisser derrière moi l’être déchiqueté par la guerre que je m'étais laissé être bien trop longtemps.

Mais en me réapprenant à vivre, ils me rendirent également quelque chose qui n’aurait jamais dû m’être arraché : mon libre-arbitre. Cela vous étonne, n’est-ce pas ? Après tout vous n’avez connu de moi qu’un adolescent rebelle et n’en faisant qu’à sa tête, alors vous ne vous attendiez probablement pas à ce que ma liberté de décision me soit volée aussi aisément. Et pourtant ce fut bel et bien le cas, et la retrouver ne fut pas tâche aisée. Suivre les choix des autres était tellement plus facile que d’apprendre à faire les miens ! Mais je m’y forçais, refusant d’abandonner de nouveau ma fierté et ma liberté à qui que ce soit. Peu à peu, je compris que j’attendais plus de ma vie retrouvée que des vols à la chaîne. J’avais besoin d'expérimenter ce que le monde avait à offrir, de redécouvrir tous les plaisirs simples qui m’avaient échappé, de vivre tout simplement plutôt que de me contenter d'exister, et je ne pouvais trouver cela en vivant cette existence de reclus. Alors je décidai de quitter ce groupe qui m’avait pourtant rendu à moi-même, bien que je ne pourrai jamais, jamais les trahir. Ils ne le prirent pas bien, évidemment, mais ils n’avaient pas le choix, et me connaissaient suffisamment bien pour savoir que je ne les vendrai pas aux premiers policiers croisés. Je décidai donc de laisser derrière moi le vol, les conflits et les piratages, ma vie bien trop remplie de combats à mon goût, au profit d’une autre de mes passions : la mécanique. On me l’avait enseignée au SAS, et ce talent m’avait été bien utile pendant toutes ces années à parcourir l’Afghanistan dans toutes sortes de moyens de transport. Nath’, celui dont j'avais toujours été le plus proche, m’avait enseigné tout ce qu’il y avait à savoir sur les véhicules pendant mes deux années avec lui. Alors pourquoi ne pas devenir mécanicien ? Les vols m’avaient rapporté suffisamment pour que je puisse m’offrir un petit garage à New York et laisser la souffrance au passé.

Et nous revoilà au présent. Je pars dans quatre heures construire un nouveau pan de ma vie, encore une fois, mais cette fois parce que je l'ai décidé, et cela change tout. J’ai été Willy l’enfant choyé, Will’ le mutant rebelle, William le soldat et déserteur, réduit créature décharnée et torturée, puis Kyle l’otage rapatrié, Kyle le fou, Kyle errant, Kyle le voleur. A présent je deviens Kyle le mécanicien. Quand à vous, mes chers parents, vous n’appartenez pas à la vie de ce Kyle.

Bien à vous

Kyle alias William.

Le stylo appose le point final, et un soupir se fait entendre. L'homme se retourne vers la cheminée depuis longtemps éteinte, et l'allume en quelques gestes habiles. Il s'arrête un instant, puis comme un regret attrape les feuilles couvertes d'écriture avant de les jeter au feu, observant les seuls restes tangibles de son passé brûler et disparaître jusqu'au petit matin.

Cet homme parviendra bien à New York, ouvrant son garage comme il se l'était promis. Bien sûr sa vie ne prit pas exactement le chemin qu'il avait imaginé, mais il ne regrettera jamais cette décision, la considérant premier pas vers une existence enfin libre, vers une vie qui n'est pas parfaite mais qui est la sienne. Il refusera de se faire recensé, pas seulement parce que cela risquerait de révéler bien trop de pans sombres de son passé, mais parce qu'il refusera à jamais de laisser les hommes décider de nouveau du cours de son existence.