« He took the midnight train goin' anywhere » [PV]

« he took the midnight train goin' anywhere »

« PV »

« Excusez-moi, vous auriez pas un briquet ? »

« 'Scusez-moi, m'sieur, mais vous n'auriez pas du feu, par hasard ? »

Installé au comptoir, dans son bar habituel, un homme aux cheveux mi-longs, la quarantaine passée, mal rasé, avait le regard fixé sur l'écran de son téléphone portable, un des derniers modèles d'Apple. Devant lui, une pinte de Budweiser voyait son contenu s'amenuiser à mesure que le temps passait, et le temps passait trop vite pour la bière. La particularité de cet homme, c'est qu'il fumait, alors que très peu de gens se permettaient encore de fumer dans les lieux publics. Mais Ernie, le patron, avait appris de longues années auparavant qu'il valait mieux faire ami-ami avec lui plutôt que de tenter d'être le plus malin. Parce qu'être le plus malin avec le chef des Collaborateurs conduisait bien souvent à un mélange de regrets et de souffrance. L'homme, Terence Firestone, suivait les cours de la Bourse en direct. Non seulement parce qu'il était le gérant des finances des Etats-Unis d'Amérique, mais aussi parce que lui-même détenait des actions et autres titres de propriété qui dépendaient de ces fluctuations.

Cela faisait bien une demi-heure qu'il était là, devant sa seconde pinte, sa énième clope au bec, lorsqu'il abandonna son activité favorite. Favorite ? Non, ça faisait passer le temps, et il aimait savoir si son immense fortune subissait des petites morsures. Un garçon, juste majeur, du haut de ses vingt-et-un ans, à vue de nez, commanda une bière, en s'asseyant juste à côté de Terry. Ce dernier se crispa légèrement, il sentait venir les emmerdes. Il était là, tranquille, vaquant à ses occupations, ne demandant rien, strictement rien à personne, et voilà qu'une jeune con allait lui gâcher sa solitude. Après quelques secondes, la question ne manqua pas de tomber, et elle eut la particularité d'être posée avec ce ton si désinvolte des jeunes qui croient être les potes de tout le monde.

"Hey, vous auriez pas une clope pour moi ?"

La réponse donnée fut... composée. Première étape, un silence, durant lequel Terence ravala son envie brutale de sauter à la gorge de l'importun. Deuxième étape, la tête qui pivota, et le regard qui se vrilla, flamboyant, dans celui de l'autre. Et enfin, alors que "l'autre", avait un mouvement de recul, les mots, qui cinglèrent, sans aucune douceur :

"Ecoute, trou du cul. Soit tu vas te faire foutre illico, soit je t'éclate la tête contre le comptoir."

Ca ressemblait à un ultimatum, avec un dilemme loin d'être cornélien. Soit l'inconscience et la témérité prenaient le dessus, et dans ce cas, le ménage allait vraiment valoir le coup, soit la prudence, et même l'intelligence, arrivaient à grand renfort, et Ernie perdait un jeune client plein d'avenir dans les conneries. Sans un mot, celui qui avait fait l'erreur de déranger le Collaborateur se leva leva de son tabouret, et fila directement vers la sortie, sans demander son reste. Le barman, qui revint avec la bière, fut surpris par l'absence de celui qui l'avait commandée.

"Laisse, je prends." fit Terry, en attrapant la pinte.

Dans la foulée, il termina sa cigarette et en alluma une autre. Et but une longue gorgée de bière. Levant les yeux, il vit la tête de McAllister sur l'écran. Ah, les infos devaient parler de cette conférence. Encore cette conférence. Il soupira. Ce qui allait ressortir de cette intervention présidentielle ne pouvait être que bénéfique à lui et ses hommes. Ce sont les autres Mutants, les Confréristes et autres terroristes, qui allaient en pâtir, après l'attentat. Le regard de Terence tomba ensuite sur une silhouette frêle, qui venait de passer la porte. Une jeune fille. Une jeune fille avec une cigarette éteinte dans la main. Oh, non, elle allait venir le voir, elle allait lui demander du feu. Si elle lui demandait un briquet, c'est très simple, il répondrait qu'il n'en avait pas. Ce qui était vrai. Prêt à dire ça, il fut déçu par la tournure de la question. Il la regarda de la tête aux pieds, et... hum, rien à voir avec le jeune trou du cul.

"J'ai du feu." dit-il, en tendant la main devant lui, pouce levé.

Une petite flamme apparut à l'extrémité du doigt. Elle était un peu jeune pour être là... D'ailleurs, Ernie ne manquerait probablement pas de faire plusieurs remarques. Mais si elle restait à côté de Terry, non, il n'oserait même pas ouvrir la bouche. Terence hésita un instant, puis se ravisa. Il venait de montrer qu'il était un Mutant. Ca, il ne s'en était jamais caché, la plupart des New yorkais le connaissaient de toute manière. Et c'est d'ailleurs parce qu'il était Hadès, le Mutant chef des Collaborateurs, qu'il faisait peur... De sa main libre, Terry poussa la bière pleine sur le comptoir, juste devant le tabouret voisin du sien, celui que venait de quitter "trou-du-cul".